mercredi 15 avril 2015

Tristan Tzara - Dada est tatou. Tout est Dada



Dada est tatou. Tout est Dada


 

 

L’ART ET LA CHASSE


La chasse à l’homme tire les racines et les sources de sa carte topographique au comptoir d’escompte; cela s’entend pour la douce et subtile hallucination: l’homme. C’est normal et assez bien, assez fou dans la répétition qui accroche toujours une nouvelle importance à sa dernière apparition. Mais les résultats de la chasse à l’homme, qu’on vend à la Bourse, sont à exposer. Avec éclat et cadre. C’est ici qu’une barbe épaisse pousse autour de l’idée claire que je me fais, elle n’a pas encore quarante ans d’existence et de travail honnête. J’ai horreur de la folie et de sa forme platonique qui est l’absurde et la poésie. « J’ai horreur» n’a plus le sel désagréable d’autrefois, cela veut dire aujourd’hui que je fume une cigarette.
Les hommes sont impénétrables ; ceux qui croient que les hommes peuvent s’interpénétrer comme deux mains réunies sur un ventre, ont tort, mentent et font une mauvaise affaire. Les valeurs sont aussi élastiques que les lois d’airain. Les conflits n’existent plus car nous sommes dans la poche de l’été. La mauvaise spéculation sur l’Institut, qui exprimait autrefois une injure, nous a entraînés à voir les choses sur le même plan : la Place Vendôme qui ne pourrait pas contenir de la moutarde péjorative n’est qu’une constatation purement verbale. Nos idées sont claires et n’ont pas besoin de s exprimer, le sport qui consiste à faire partir, parallèlement aux idées, des haleines qui courent et qui discutent, est connu par nos plus forts dialecticiens. Ce sont elles qui veulent dominer et avoir raison. Mais même les plus belles femmes de France n’ont réussi qu’à se montrer au Casino de Paris. Le langage est bien usé, et pourtant il emplit tout seul la vie de la plupart des hommes. Ils ne savent que ce que la vie a su leur raconter. La drôlerie et le petit air péjoratif sont pour eux la saveur du langage, le sel de la vie. Dada est intervenu brutalement dans cette petite histoire de ménage cérébral. Mais les plus importantes inventions du siècle sont passées inaperçues : la brosse à dents, Dieu, l’aluminium. Donc, Madame, prenez garde et comprenez qu’un produit vraiment dada est autre chose qu’une brillante étiquette.
Dada a aboli les nuances. La nuance n’existe pas dans  la parole, mais dans les cerveaux aux cellules trop 1 entassées de quelques gens atrophiés. Des notions simples servant de signes aux sourds-muets suffisent entièrement pour exprimer les quatre ou cinq mystères que nous avons découverts.
Des influences actives se font ressentir en politique, dans le commerce, dans le langage. Tout le monde et ce qu’il y a dedans a glissé un peu à gauche avec nous. Dada a enfoncé la canule dans le pain chaud. Petit à petit, grand à grand, il détruit. Et nous verrons aussi incertaines libertés que nous prenons chaque jour envers le sentiment, la vie sociale et morale, redevenir des mesures communes. Déjà les libertés ne sont plus considérées comme des crimes, mais comme des démangeaisons.

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J'admets que mes amis n'approuvent pas ce point de vue. Mais le Rien ne peut exprimer qu'en tant que reflet d’une individualité. C'est pour cela qu'il sera valable pour tout le monde, chacun n'accordant de l'importance qu'à sa propre personne. Je parle de moi-même. Cela est déjà de trop. Comment oserais-je parler de tout le monde à la fois et le contenter?
Il n’y a rien de plus agréable que de dérouter les gens. Les gens qu’on n’aime pas. À quoi bon leur expliquer ce qui ne peut intéresser que leur curiosité? Car les gens n’aiment que leur personne, leur rente et leur chien. Cet état de choses dérive d’une fausse conception de la propriété. Si l’on est pauvre d’esprit, on possède une intelligence sûre et inébranlable, une logique féroce, un point de vue immuable. Tâchez d’être vides et de remplir vos cellules cérébrales au petit bonheur. Détruisez toujours ce que vous avez en vous Au hasard des promenades. Vous pourrez alors comprendre beaucoup de choses. Vous n'êtes pas plus intelligents que nous, et nous ne sommes pas plus intelligents que vous.
L’intelligence est une organisation comme une autre, l’organisation sociale, l’organisation d une banque ou l’organisation d’un bavardage. Un thé mondain. Elle sert à créer de l’ordre et à mettre de la clarté la ou il n’y en a pas. Elle sert à créer la hiérarchie dans l'état. À faire des classifications pour un travail rationnel. A séparer les questions d’ordre matériel de celles d'ordre moral, mais de prendre très au sérieux les premières.
L’intelligence est le triomphe de là bonne éducation et  du pragmatisme. La vie, heureusement, est autre chose, et ses plaisirs sont innombrables. Leur prix ne s'évalue pas en monnaie d’intelligence liquide.
Ces observations des conditions quotidiennes nous ont amené à une connaissance qui constitue notre minimum d'entente, en dehors de la sympathie qui nous lie et qui est mystérieuse. Nous ne pouvions pas la baser sur des principes.  Car tout est relatif. Qu'est-ce le Beau, la Vérité, l'Art, le Bien, la Liberté ? Des mots qui pour chaque individu signifient autre chose. Des mots qui ont la prétention de mettre tout le monde d'accord, raison pour laquelle on les écrit la plupart du temps avec des majuscules. Des mots qui n’ont pas la valeur morale et la force objective qu'on s’est habitué à leur donner. Leur signification change d’un individu à l’autre, d’un pays à l’autre. Les hommes sont différents, c’est leur diversité qui en crée l’intérêt. Il n’y a aucune base commune dans les cerveaux de l’humanité. L’inconscient est inépuisable et non contrôlable. Sa force nous dépasse. Elle est aussi mystérieuse que la dernière particule de cellule cérébrale. Même si nous la connaissons, qui ose affirmer que nous pourrions la reconstruire viable et génératrice de pensées?
A quoi nous ont-elles servi les théories des philosophes ? Nous ont-elles aidé à faire un pas en avant ou en arrière ? Où est « avant » où est « arrière » ? Ont- elles transformé nos formes de contentement? Nous sommes. Nous nous disputons, nous nous agitons, nous nous débattons. Les entractes sont parfois agréables, souvent mélangés d’un ennui sans bornes, un marécage orné des barbes d’arbustes moribonds. Nous avons assez des mouvements réfléchis qui ont dilaté outre mesure notre crédulité dans les bienfaits de la science. Ce que nous voulons maintenant c’est la spontanéité. Non parce qu’elle est plus belle ou meilleure qu’autre chose. Mais parce que tout ce qui sort librement de nous-mêmes sans l’intervention des idées spéculatives, nous représente. Il faut accélérer cette quantité de vie qui se dépense facilement dans tous les coins. L’art n’est pas la manifestation la plus précieuse de la vie. L’art n’a pas cette valeur céleste et générale qu’on se plaît à lui accorder. La vie est autrement intéressante. Dada se vante de connaître la juste mesure qu’il faut donner à l’art; il l’introduit avec des moyens subtils et perfides dans les actes de la fantaisie quotidienne. Et réciproquement. En art, Dada ramène tout à une simplicité initiale mais relative. Il mêle ses caprices au vent chaotique de la création et aux danses barbares des peuplades farouches.

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